Maternelles (très) privées : le meilleur à tout prix (2023)

«Tout se joue avant 6 ans», affirme le psychologue américain Fitzhugh Dodson. Du pain bénit pour ces établissements ultrasélectifs, qui promettent un avenir brillant (et bilingue) aux petits VIP parisiens. Plongée au cœur de ces pépinières pur luxe.

Derrière sa tétine, Adam* pleure. "Il ne veut pas arroser les plantes", s'inquiète son enseignante en anglais, tenant dans ses bras l'inconsolable garçon de 2 ans et demi. Toutes affaires cessantes, le directeur décide d'appeler la nanny de l'enfant - dont le contact est enregistré dans son téléphone, "bien sûr" - et lui demande de venir le chercher. "On ne laisse pas pleurer un enfant qui risque ensuite, à cause d'un événement comme celui-ci, de venir à l'école avec appréhension", prône Laurent Lavollay-Porter, directeur de la Bilingual Montessori School of Paris, courtier à Wall Street dans une autre vie. Aujourd'hui, son établissement, situé dans une annexe de la cathédrale américaine de Paris (23, avenue George-V), est l'un des plus prisés de la capitale. Celui des enfants du Cac 40, dit-on.

Une école de l'élite au même titre que celles dont on prononce le nom avec envie et retenue dans les dîners, cristallisant les fantasmes sur les admissions et les clichés sur l'entre-soi. Ces Franklin (Saint-Louis-de-Gonzague), Jeannine-Manuel, Stanislas, École alsacienne, Bilingue Monceau, Cours Hattemer… préconisent l'école à l'ancienne, celle de nos parents (voire de nos grands-parents), ou, au contraire, proposent une pédagogie à l'approche quasi expérimentale, tournée vers l'épanouissement personnel de l'enfant et le futur monde du travail. Mais toutes ont ce point commun: elles sont extrêmement sélectives. Résultat: nombre de parents s'escriment chaque année à y faire entrer leur progéniture, pris dans une infernale course à l'éveil et guidés par le désir de placer leur enfant au bon endroit au bon moment, malgré des frais de scolarité souvent colossaux.

Bilingues dès 3 ans

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"Un industriel m'a demandé un jour quelle était la probabilité que ses jumeaux intègrent Harvard après une scolarité chez nous", sourit Jean-Xavier Moreau, directeur de l'École internationale bilingue Monceau (EIB), implantée dans un hôtel particulier du VIIIe arrondissement de Paris. "Nous savions que ce serait la guerre à l'entrée au collège, la sélection étant de plus en plus rude au fil des classes", raconte Camille, 35 ans, dont la fille est scolarisée à Franklin depuis la moyenne section. "Le plus judicieux était encore de lui faire intégrer l'établissement au Jardin d'enfants (l'équivalent de la deuxième année de maternelle, NDLR)", résume la mère de trois enfants, concédant que "le dossier de candidature pour une enfant de 4 ans impose déjà de réunir quelque vingt-cinq documents, dont deux dessins." "À ces parents qui veulent le mieux du mieux le plus tôt possible, on propose un système où ils sont entre eux, où ils vont rencontrer les élites du monde entier et où ils vont prendre une longueur d'avance ; évidemment que c'est tentant", décrypte Anne-Noémie Dorion, coauteur, avec Aurore Gorius, de Fils et filles de… Enquête sur la nouvelle aristocratie française (Éd. La Découverte, 2015).

Cette longueur d'avance, beaucoup la conçoivent à travers un enseignement bilingue dès l'âge de 3 ans. Soit 25 % du temps en moyenne section à l'École Jeannine-Manuel (Paris XVe) et à Bilingue Monceau. Deux fois plus à Bilingual Montessori et au Jardin d'enfants des Nations Unies. "Les enfants devraient apprendre à parler l'anglais comme à pousser une porte", plaide Clotilde Boullet, la directrice de cette minuscule école maternelle hors contrat (quinze élèves par classe en moyenne) nichée dans une allée privée du XVIe arrondissement. À l'origine, l'établissement - aux allures de maison avec jardin - accueillait les enfants de diplomates (l'OCDE est tout près) et s'adaptait aux étrangers de passage à Paris. Aujourd'hui, elle répond, comme les autres écoles, à une demande pressante des parents. "Certains m'appellent dès la naissance de leur enfant", raconte Clotilde Boullet.

"Play date" et autonomie

Non, un enfant n'est pas recalé s'il a du mal à peler une banane

Élizabeth Zéboulon

À la rentrée 2018, l'École Jeannine-Manuel a reçu deux cent quatre-vingts demandes "pour cinquante places en moyenne section", affirme la directrice, Élisabeth Zéboulon - l'école a fermé la petite section en 2001, jugée inutile à l'apprentissage de l'anglais. Malgré les 8 700 euros de frais de scolarité annuels (en demi-pension), la compétition est rude dans cet établissement qui recrute chaque année un tiers d'étrangers (que la directrice va parfois auditionner directement à leur domicile, à Londres ou à New York) et un tiers de binationaux. Une fois le dossier d'inscription validé (avec bilan orthophonique obligatoire à partir de la grande section), "nous recevons les parents pour un entretien, précise Élisabeth Zéboulon, puis l'enfant, à part, lors d'un play date."

Play date, cette perspective fait trembler les parents qui présentent leur enfant "candidat." En pratique, ce dernier, âgé de 3 ou 4 ans, est invité à participer à des activités pédagogiques en petits groupes (dix enfants), pendant qu'un ou une enseignant(e) "prend des notes sur son comportement, ses réactions." En bout de course, un commentaire global sur les parents et sur l'enfant sera étudié devant un comité d'une douzaine de personnes. "Nous avons la certitude que nous nous trompons parfois, mais il faut faire des choix", justifie Élisabeth Zéboulon, agacée par le mythe entourant ses pratiques de sélection - "non, un enfant n'est pas recalé s'il a du mal à peler une banane…" Il est en revanche prié de revenir l'année suivante s'il reste accroché trop longtemps à ses parents le jour du "test."

Dans ces établissements dits élitistes, l'autonomie apparaît souvent comme un critère d'admission. "À la fin de l'entretien, la responsable de la maternelle nous a dit qu'Anna avait un très bon niveau de langage, mais qu'elle devait apprendre à se débrouiller seule", se rappelle Diane, dont la fille a quand même intégré Bilingue Monceau en septembre. "Elle avait remarqué que mon mari l'avait portée dans les escaliers en arrivant." Tous ne sont pas si pointilleux. L'Alsacienne, Stanislas et le Jardin d'enfants des Nations Unies, par exemple, ne reçoivent que les parents. "Qui peut sérieusement présumer des capacités intellectuelles d'un enfant de 4 ans?", s'interroge Frédéric Gautier, directeur de Stanislas depuis 2015, admettant néanmoins que "comme l'écrivait Paul Valéry, tout se joue dans les commencements." Commencements qui divergent diamétralement selon les établissements.

En vidéo, la rentrée des classes du prince George et de la princesse Charlotte

Blouses et bouliers

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À Stanislas, en l'occurrence, on vise l'excellence dès la maternelle, "parce que l'école prépare au collège, qui prépare au lycée, qui lui-même amène aux prépas." Sous leurs blouses bleu marine brodées à leur nom et prénom, bien droits dans leurs chaussures de ville (les baskets sont bannies), les élèves apprennent à dire "Bonjour madame" en regardant dans les yeux et obéissent déjà à la "règle des trois A" propre à l'établissement privé catholique: attitude en classe, apprentissage par cœur, attention à l'autre. L'école assume son côté "vieille France." "Nos élèves de maternelle chantent une prière tous les matins et apprennent des poèmes par cœur", souligne la responsable de l'école primaire, Élisabeth Meallonnier. Et ce, sans doute, après leur leçon de natation hebdomadaire, donnée dans l'une des deux piscines de l'établissement.

Au Cours Hattemer, petit établissement hors contrat tapi derrière la gare Saint-Lazare, à Paris, cette idée de l'école à l'ancienne est poussée à l'extrême, avec boulier pour compter et tableau de récompenses en fin d'année. "Ils apprennent à lire et à écrire au stylo-plume en grande section", relate Clotilde, dont le fils a reçu il y a quelques années le prix d'excellence chez les Coccinelles, l'équivalent de la petite section. "Rien ne semble avoir bougé depuis 1876", ajoute cette maman de 39 ans qui reconnaît que des activités "plus modernes" sont proposées. "On a pris l'option capoeira pour Gustave, qui s'entraîne quarante minutes par semaine avec un professeur brésilien."

En comparaison, l'École alsacienne fait figure de "petit cocon douillet", dixit Olympe, 40 ans, dont les deux garçons sont aujourd'hui en primaire du célèbre établissement situé rue Notre-Dame-des-Champs, dans le VIe arrondissement. Réputée pouponnière des "fils et filles de", l'école n'en est pas moins, rappelle la direction, "toujours dans l'expérimentation", ne s'imposant "aucune pédagogie arrêtée." Ici, on met l'accent sur l'oral, la confiance, l'estime de soi. Plébiscitée par les parents, la "causerie" invite chaque élève à choisir un sujet sur lequel il s'engage tout au long de l'année. "Cela peut être le Titanic ou les dauphins, ou n'importe quoi d'autre, du moment que l'enfant construit un discours intelligent en se faisant plaisir autour d'une thématique, développe Gauthier Lechevalier, directeur du Petit collège - l'école primaire de l'Alsacienne. À la fin de l'année, il le présente à sa classe, puis à celle de son grand frère s'il le souhaite, ou de son ancien maître."

Métiers du futur

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À Bilingual Montessori, où l'on estime que jusqu'à 6 ans l'enfant n'est pas disposé au partage, c'est encore différent. "Le matin, chacun opte pour une activité et reçoit sa présentation individuelle", explique le directeur, Laurent Lavollay-Porter, partisan de la réduction au maximum des interventions avec les écoliers. Ainsi, cette enseignante qui a osé donner un bon point à l'un d'entre eux, contrairement aux règles de l'établissement, a échappé de justesse à l'exclusion. "Un enfant sait quand il a fait quelque chose de bien, il n'a pas besoin de nous." L'école, qui n'a ni cour de récréation (non prévue à la construction de la cathédrale américaine…) ni cantine - ici, on déjeune en classe (plats livrés par un traiteur italien du VIIIe arrondissement) -, n'accueille pas les enfants de moins de 4 ans l'après-midi. "Trois heures d'apprentissage réel sont largement suffisantes", explique Jean-Xavier Moreau, directeur de Bilingue Monceau, qui fonctionne sur le même principe (et facture 6 500 euros l'année à mi-temps).

En vidéo, ces enfants de maternelle se disent saluent tous les matins, et ça change tout

Dans son école bilingue "et laïque", insiste-t-il, "quarante nationalités et toutes les religions" se mélangent dans la cour de récréation - le parc Monceau, accessoirement. Dès la maternelle, l'enseignement s'attache à la découverte du monde robotique et numérique, avec une initiation au langage du code en grande section. "D'ici à 2030, 50 % des métiers d'aujourd'hui vont disparaître, prédit Jean-Xavier Moreau. On prépare les enfants à des métiers que l'on ne connaît pas."

*Les prénoms ont été changés.

Initialement publié le 30 novembre 2018, cet article fait l'objet d'une mise à jour

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Author: Melvina Ondricka

Last Updated: 10/01/2024

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